Effet papillon

Comment de toutes petites causes peuvent avoir de grandes conséquences

Un café de trop, et tout est changé

Aujourd’hui, Chloé est mal réveillée. Elle a bu un café de trop hier, lui causant une insomnie. Qu’à cela ne tienne, la voilà de bonne heure au laboratoire de mathématiques de Rochefourchat, mais pas très attentive à ce qu’elle écrit. Elle fait une faute de frappe quand elle envoie une version de son article de recherche à sa collègue de travail.

Mais cette toute petite erreur, cette toute petite faute d’inattention, change complètement la donne : ses équations étaient en fait fausses depuis le départ et cette petite erreur les rend vraies !

Sa collègue le lui signale : tout devient clair, limpide, et en se remettant au travail avec ces nouvelles équations, elles trouvent une théorie complètement nouvelle qui apporte à l’humanité la paix et le bonheur pour tout le monde.

On a toutes et tous l’impression d’avoir vécu une histoire semblable, peut-être à une échelle un peu moins fantaisiste, une histoire où un tout petit bouleversement change complètement le cours de notre journée, voire même de notre vie.

Une toute petite perturbation, de grandes conséquences.

      Poincaré sur l'effet papillon

On expérimente des concepts mathématiques tous les jours, et certains font partie de la culture populaire !

 Un phénomène précis chez les scientifiques

Depuis une conférence de 1972 du météorologue Edward Lorenz, ce phénomène est appelé par le grand public l’effet papillon. Les scientifiques aiment bien aussi le terme de “sensibilité aux conditions initiales”. En mathématiques, ce phénomène a une définition précise et quantifiable, moins floue que ce qui est passé dans la culture populaire. Cela dit, l’idée que recouvre la définition mathématique reste similaire à celle que l’on emploie de manière imagée, et décrit un système dont la moindre variation dans les paramètres initiaux change radicalement les résultats obtenus. Un tout petit café en trop, et c’est toute la vie qui change. Ce phénomène est connu bien avant 1972 : il apparaît en mathématiques en 1900 dans quelques travaux de Jacques Hadamard, et Poincaré lui-même philosophe sur ce thème dans un chapitre de Science et Méthode en 1908.

Effet papillon et problème à trois corps

Un système formé de trois corps qui s’attirent les uns les autres sous l’effet de la gravitation est chaotique. En particulier, une toute petite perturbation peut avoir de grande conséquences : ce problème est très sensible aux conditions initiales, c’est-à-dire aux petites choses imprévues qui risquent de modifier la position ou la vitesse d’un des corps. Quand on veut envoyer un satellite étudier le Soleil par exemple, on a affaire à un problème à trois corps : le Soleil, la Terre et le satellite sont les trois corps en interaction. En théorie, il est possible de trouver une trajectoire optimale qui ne nécessite de carburant que pendant le lancement du satellite. Mais à cause de l’effet papillon, suivre une telle trajectoire est en pratique très difficile ! Il suffit que la position d’envoi du satellite ne soit pas parfaite, que les ordinateurs qui calculent la trajectoire ne soient pas assez précis, ou qu’une armée de papillon perturbe l’envol du satellite, pour que sa trajectoire ne ressemble finalement pas du tout à celle que l’on avait calculée. Du coup, on utilise quand même un petit peu de carburant, pour recadrer la trajectoire.

Pour continuer à regarder la vie quotidienne à travers le prisme des mathématiques

Vive l'ellipse !

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Une forme simple qu’on retrouve dans les maths et dans le ciel

Le chaos se cache un peu

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Notre système solaire a l’air bien calme, pour un système chaotique

Cœur à cœur

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Qu’est-ce qui motive les mathématiciens ?

Aller plus loin sur ce sujet

En savoir plus sur l’effet papillon :

  • Deux chapitres du film mathématique Chaos, réalisé par Jos Leys, Étienne Ghys et Aurélien Alvarez seront certainement éclairant sur le concept mathématique de l’effet papillon : le chapitre 7 sur l’effet papillon, et le chapitre 8 sur un avatar de système très sensible aux conditions initiales, le moulin de Lorenz. C’est certainement une bonne idée de démarrer au chapitre 1 pour tout comprendre !
  • Evidemment, un retour aux fondamentaux est toujours une bonne chose ! Notamment le livre de Poincaré dont l’audio est tiré, Science et Méthode. Voir ici pour une version en ligne.
Notes et références
  • Les animations javascript des trajectoires sont adaptées d’un travail de Dan Gries, qu’on trouvera ici. Elles ont été adapté pour nos besoins par Valentin Lorentz.
  • Les trajectoires présentées sont des trajectoires d’une version simplifiée du problème à trois corps, qu’on appelle le problème à trois corps restreint, circulaire, planaire. Restreint : un des corps est supposé de masse négligeable par rapport aux deux autres, qui suivent donc des trajectoires du problème à deux corps. Circulaire : on suppose en plus que ces trajectoires sont des cercles, ce qui nous permet de nous placer dans un repère tournant dans lequel les deux gros corps sont fixes. Planaire : on suppose enfin que le troisième corps évolue dans le même plan que les deux autres. Ce système est décrit par une équation différentielle de degré 2, qu’on intègre ici par une méthode Runge-Kutta d’ordre 4 classique.
  • L’audio de Poincaré est issu de Science et Méthode. En voici une transcription :

«  Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit.

[…] Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de peine à prédire le temps avec quelque certitude ? Pourquoi les chutes de pluie, les tempêtes elles-mêmes nous semblent-elles arriver au hasard, de sorte que bien des gens trouvent tout naturel de prier pour avoir la pluie ou le beau temps, alors qu’ils jugeraient ridicule de demander une éclipse par une prière ? Nous voyons que les grandes perturbations se produisent généralement dans les régions où l’atmosphère est en équilibre instable. Les météorologistes voient bien que cet équilibre est instable, qu’un cyclone va naître quelque part ; mais où, ils sont hors d’état de le dire ; un dixième de degré en plus ou en moins en un point quelconque, le cyclone éclate ici et non pas là, et il étend ses ravages sur des contrées qu’il aurait épargnées. Si on avait connu ce dixième de degré, on aurait pu le savoir d’avance, mais les observations n’étaient ni assez serrées, ni assez précises, et c’est pour cela que tout semble dû à l’intervention du hasard. Ici encore nous retrouvons le même contraste entre une cause minime, inappréciable pour l’observateur, et des effets considérables, qui sont quelquefois d’épouvantables désastres. «  

 

Sciences et méthode, Livre 1, Chapitre 4.