Paradoxe de l’attraction

Pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la Terre ?

Un paradoxe ?

Pourquoi la Lune ne nous tombe-t-elle pas dessus, puisque elle est attirée fortement vers la Terre par la gravitation ? C’est un vrai paradoxe. La contradiction est telle qu’elle a empêché pendant des siècles les astronomes de prendre conscience de cette force d’attraction. Le concept même de gravitation leur étant étranger, il n’était pas question pour eux que la Lune puisse tomber ; elle était animée d’un mouvement propre, ou accrochée à une sphère tournante, ou poussée le long de sa trajectoire par une puissance divine… Et les mêmes explications étaient avancées pour les autres astres du ciel.  

Le bouvier et la tisseuse céleste, par le peintre japonais Tsukioka Yoshitoshi dans Cent aspects de la lune, 1885-1892.

Des mythes et des histoires

Dans toutes les civilisations antiques, le mouvement des astres, leurs positions ou leurs natures trouvent leurs explications dans la mythologie, des histoires mêlant souvent des animaux, des mortels et des déesses ou des dieux. Ainsi, on pourra écouter ci-dessous notre libre adaptation d’un conte populaire chinois expliquant l’origine de la Voie Lactée .

      La tisseuse céleste et le bouvier

Dans la mythologie égyptienne, le ciel tient grâce à la déesse Nout, alors que dans la mythologie grecque, c’est le titan Atlas qui est condamné par Zeus à cette tâche.

On peut se demander pourquoi les astres ne tombent pas, mais on peut aussi demander pourquoi certains tombent ! En Australie, la tradition orale des aborigènes relate que le cratère de Gosses Bluff serait dû à l’inadvertance d’une femme qui, s’étant changée en étoile pour danser dans la Voie Lactée, aurait laissé tomber son nouveau-né sur la Terre. Elle et son mari le chercheraient encore à ce jour.

La déesse égyptienne Nout, photographie du British Museum.
Cratère de Gosses Bluff, NASA/ISS Expedition 7 crew member (NASA Earth Observatory)
Epicycles dans un manuscrit d Al-Shirazi

Des modèles géométriques et arithmétiques

La description des mouvement des astres est importante pour beaucoup de civilisations.

En Chine, plusieurs centaines de personnes se sont relayées pendant les siècles pour établir de nombreuses cartes et d’impressionnants catalogues stellaires. La cosmologie et les explications des mouvements ne semblaient pas être leur première préoccupation. Les Mayas ont quant à eux élaboré un calendrier très précis pouvant prédire les éclipses !

En Grèce, plusieurs modèles géométriques ont émergé, ont été confrontés, améliorés ou abandonnés au fil des siècles. Par exemple, Aristote a repris le modèle des sphères d’Eudoxe, sur lesquelles les astres doivent tourner. Il donne aussi une explication très simple au maintien des astres dans le cosmos : toutes les étoiles, Lune et Soleil sont faits d’éther, le cinquième élément après la terre, l’eau, l’air et le feu. L’éther a alors tendance à rester tout en haut, alors que tout ce qui est fait de l’élément terrestre est voué à tomber vers le centre de notre planète.

Ptolémée d’Alexandrie au IIème siècle ap. J.-C. décrit quant à lui les mouvements des astres par les épicycles, utilisés par Hipparque de Nicée, et Apollonius de Perga avant lui. Ces modèles sont repris et améliorés par des astronomes perses du XIIIème siècle, comme Al-Shirazi ou Al-Tusi.

Bref, chaque civilisation a observé le ciel et a essayé de le décrire avec beaucoup d’outils différents !

Pourquoi ça ne tombe pas

Avec l’anecdote fameuse mais discutée de la pomme, Newton est le premier à avoir compris que la Lune tombe sur la Terre aussi bien qu’une pomme, et finalement tout aussi bien que les planètes sur le Soleil. Mais si l’astre lunaire ne s’écrase pas sur l’écorce terrestre, c’est qu’il est animé d’une vitesse assez grande, selon l’explication du scientifique anglais Robert Hooke. Isaac Newton, lui, l’expliquait par la présence de l’effet centrifuge, ou vis centrifuga dans ses écrits. Effet centrifuge ou vitesse trop grande sont en fait des explications parfaitement équivalentes ! Quelques explications en vidéo.

Pour des explications plus détaillées, en formules, il faudra continuer la visite !

Il y a beaucoup de retours en arrière, d’intuitions fausses, ou de propositions incomplètes avant d’avoir une belle théorie…
La science avance dans le noir en tâtonnant !

Quand l’intuition nous fait défaut

Les mathématiques, comme les autres sciences, entretiennent des rapports ambigus avec l’intuition. Les mathématiciens exercent et aiguisent leur intuition pour qu’elle les guide vers de nouvelles approches et de nouveaux points de vue… puis travaillent dur pour construire des structures formelles qui les affranchissent de leur intuition, qui les mènent là où l’intuition n’a pas de prise, dans des contrées abstraites et imperceptibles. Henri Poincaré, grand mathématicien de la fin du XIXème siècle, a beaucoup réfléchi sur l’intuition mathématique. Écoutons ce qu’il dit dans La valeur de la science.

      La logique et l'intuition selon Poincaré

Pour suivre d’autres grandes découvertes et leur genèse

Tout est possible !

Tout est possible !

Le problème à trois corps admet énormément de comportements différents

Les trois lois de Kepler

Les trois lois de Kepler

celles du mouvement d’une planète autour du soleil

Le ciel en deux formules

Le ciel en deux formules

ou comment les mathématiciens parlent du mouvement des astres

Aller plus loin sur ce sujet

Sur la découverte de Newton :

A propos des modèles astronomiques antiques :

  •  Il est impossible de résumer des millénaires d’astronomie en quelques paragraphes. Il vaut alors mieux consulter le très bon livre de Yaël Nazé, L’astronomie des anciens, qui offre un beau panorama des différentes cosmogonies des grandes civilisations antiques d’Amérique, Asie et Europe et qui est beaucoup plus complet que les quelques paragraphes de ce site !
  • Sur les traditions orales aborigènes, un des articles de recherche, en anglais, d’Hamacher et Goldsmith.
  • Le conte chinois est très populaire et existe sous différentes formes. Nous en avons livré notre version à travers l’audio, mais on pourra en trouver d’autres, par exemple celle-ci.
Notes et références
  • Voici le texte de la vidéo sur le paradoxe de l’attraction :

Si un objet n’est soumis à aucune force celui-ci part en ligne droite. Ça c’est le principe d’inertie et on le sait depuis que Galilée l’a énoncé au XVIIème siècle. Et il n’est pas très compliqué de voir pourquoi c’est vrai : la définition d’une force c’est ce qui modifie la vitesse d’un objet que ce soit sa direction ou son intensité. Et si on n’applique aucune force, la vitesse ne change pas. Et si la vitesse ne change pas, l’objet continue en ligne droite ou reste immobile.

Mais pour nous il est impossible de l’observer. Sur Terre il y a toujours cette bonne vieille pesanteur qui ramène les objets qu’on lance vers la Terre, et ils ne partent jamais à l’infini en ligne droite. Mais plus on lance fort, plus les objets vont loin. Peut-être même que si Newton avait eu une force surhumaine, il aurait pu lancer la pomme si fort qu’elle ne serait jamais retombée sur Terre ?

Et bien oui ! Il n’avait peut-être pas les muscles nécessaires mais sa théorie permet de montrer que c’est bien possible. Et si l’objet est lancé juste assez fort – à une vitesse de 40 320 km/h tout de même – la gravitation terrestre peut même empêcher l’objet de lui dire adieu, sans jamais le convaincre de revenir au plancher des vaches.

C’est un peu ce qui se passe pour la Lune : elle a une vitesse assez grande qui l’empêche de s’écraser sur Terre, mais la masse terrestre, et donc la gravitation, empêche la Lune de partir. La Lune finit par tourner autour de la Terre.

  • L’audio du conte est une adaptation libre, le conte lui-même ayant beaucoup de versions différentes. Voici une transcription :

L’empereur céleste, l’Auguste de Jade avait sept filles. L’une d’elle, Tche-Niu, était particulièrement resplendissante, intelligente, souriante, éclatante et encore plein d’adjectifs élogieux se terminant par -ante ! Tche-Niu était également la tisseuse du ciel, et un beau jour d’été, Tche-Niu et ses six soeurs descendirent sur Terre pour aller se rafraîchir dans la rivière. Un bouvier qui travaillait au champ d’à-côté entendit les rires et les chants des femmes et s’approcha doucement. En voyant Tche-Niu, il tomba fou amoureux, mais, incapable d’aborder une femme, il ne savait pas quoi faire !

Alors il se décida à demander conseil à sa vache non loin de là :

“Que puis-je faire pour me marier avec elle ?”, lui demanda-t-il. Sa vache lui répondit :

“Écoute mon gars ! Ce genre d’affaire c’est très simple, pendant qu’elle se baigne tu lui piques ses vêtements pour les jeter au fond d’un puits. Sans sa robe, elle ne pourra plus remonter au ciel, et si tu la voies dans le plus simple appareil, elle sera obligée de t’épouser, hé !”

Le bouvier, sans se soucier des problèmes moraux et légaux que cela pouvait poser, mit en oeuvre le stratagème de la vache. À la fin de la journée, la tisseuse chercha ses vêtements alors que ses soeurs remontaient dans la demeure céleste familiale, mais fut incapable de les trouver ! Le bouvier apparut alors, et la tisseuse, qui par un heureux hasard s’ennuyait à mourir en compagnie des astres du ciel et désirait vivre un amour terrestre, épousa le bouvier. Le couple se maria alors et eut un garçon et une fille. Les années passèrent et la tisseuse voulut revoir son bien-aimé papa, l’empereur du ciel, l’Auguste de Jade, car il lui manquait affreusement. Elle demanda alors de but en blanc et tout de go au bouvier les vêtements qu’il avait caché le jour de la baignade, sans lesquels elle ne pouvait remonter vers le ciel. L’homme, sans méfiance, les lui rendit et la tisseuse s’envole aussitôt vers le ciel !

L’empereur du ciel, trop content de récupérer sa fille, la priva de dessert et de sortie et l’enferma à double tour afin qu’elle ne s’échappa point. Le bouvier était alors en panique : il ne pouvait perdre sa tendre et chère épouse ! Alors, comme il le faisait toujours dans les moments de désarroi, il alla voir sa vache et lui demanda que faire nom de nom !

Celle-ci lui répondit :

“Écoute mon gars ! C’est un bol inouï pour toi parce que justement, j’étais en train de mourir là ! Accroche toi donc à ma queue et tu t’envoleras avec moi vers le ciel !”

Bizarrement, ce fut encore un bon conseil et le bouvier put retrouver sa femme. Mais l’Auguste de Jade, en colère comme jamais, sépara les deux époux par un fleuve tumultueux qu’on appelle Tien-Ho en Chine, mais que nous, en Occident, nous appelons la Voie lactée. Les chinoises et les chinois peuvent alors, pendant les nuits au ciel dégagé, scruter le ciel et voir que Tche-Niu, que nous appelons l’étoile Véga, et le bouvier, que nous appelons l’étoile Altaïr, sont séparés par ce fleuve d’étoiles.

Les deux époux ne peuvent se retrouver qu’une seule fois par an : le septième jour du septième mois, quand les pies construisent un pont pour qu’ils puissent franchir la rivière.

  • Le dernier audio est une citation de Poincaré issue de La valeur de la science, Chap. I, qu’on peut trouver en ligne sur cette page Wikisource. En voici une transcription :

L’Analyse pure met à notre disposition une foule de procédés dont elle nous garantit l’infaillibilité ; elle nous ouvre mille chemins différents où nous pouvons nous engager en toute confiance ; nous sommes assurés de n’y pas rencontrer d’obstacles ; mais, de tous ces chemins, quel est celui qui nous mènera le plus promptement au but ? Qui nous dira lequel il faut choisir ? Il nous faut une faculté qui nous fasse voir le but de loin, et, cette faculté, c’est l’intuition. Elle est nécessaire à l’explorateur pour choisir sa route, elle ne l’est pas moins à celui qui marche sur ses traces et qui veut savoir pourquoi il l’a choisie.(…)

Ainsi, la logique et l’intuition ont chacune leur rôle nécessaire. Toutes deux sont indispensables. La logique qui peut seule donner la certitude est l’instrument de la démonstration : l’intuition est l’instrument de l’invention.