Tout est possible !

Le problème à trois corps admet énormément de comportements différents

Beaucoup de trajectoires différentes

Pour étudier un système comme celui de trois corps dans l’espace qui s’attirent uns les autres, un calcul direct de solutions est rarement la meilleure des idées. Mieux vaut une étude théorique qui permette d’en retirer toutes les informations à la portée de l’intellect. C’est la force des mathématiciens et des mathématiciennes : si leurs modèles sont bons, ils peuvent réfléchir, raisonner avec des dessins, des objets abstraits, des équations, et rendre compte de comportements que les expérimentatrices et expérimentateurs n’auraient pas pu prévoir.

À l’aide de l’étude mathématique, on peut découvrir beaucoup de trajectoires possibles, ce qui fait du problème à trois corps un problème théorique complètement différent du problème où il n’y a que deux corps. Dans ce cas il n’y a en effet que des trajectoires très simples, que les scientifiques connaissent bien.

 À l’aide la théorie uniquement, on trouve un très grand nombre de trajectoires différentes : elles peuvent être très harmonieuses, faciles à comprendre, stables…

… mais elles peuvent aussi être très compliquées, aboutir à des collisions rapidement, ou encore pire : des trajectoires qui semblent stables et périodiques se mettent au bout d’un certain temps à se déformer, et tout bascule !

Lars Edvard Phragmén

Les orbites homoclines ou l’erreur de Poincaré

En 1888, Oscar II de Suède et de Norvège propose un prix pour une importante contribution en mathématiques, sur le thème du problème à n corps. Il s’agit d’étudier les trajectoires de plusieurs astres dans l’espace, soumis aux forces gravitationnelles qu’ils exercent les uns sur les autres. Le mathématicien déjà renommé Henri Poincaré participe, et gagne le prix. Ses pairs qui doivent juger son mémoire sont impressionnés et le félicitent, malgré des preuves courtes ou trop subtiles. Et puis…. Un jeune mathématicien, Edvard Phragmen, a quelques questions sur des points obscurs du manuscrit. Poincaré trouve alors une erreur, et est face à un constat amer : le résultat principal de son mémoire, qui donne une très bonne approximation des trajectoires des corps, est faux. En cause ? Des courbes sinueuses, tortueuses, qui semblent impossibles, et dont Poincaré, intuitivement, rejette l’existence. Mais la réalité n’écoute pas toujours les intuitions des mathématiciens, quand bien même ils s’appellent Henri Poincaré, et ces courbes apparaissent bel bien dans la géométrie du problème à trois corps ! On peut lire l’extrême déception de Poincaré dans la lettre qu’il envoie à Mittag-Leffler.

Je ne vous dissimulerai pas le chagrin que me cause cette découverte. Je ne sais d’abord si vous jugerez encore que les résultats qui subsistent méritent la haute récompense que vous avez bien voulu m’accorder.

Tout est alors à refaire, il doit faire rappeler tous les mémoires en train d’être imprimés, quitte à les racheter de sa poche. Il entreprend de refonder toute la théorie. La découverte de cette erreur et sa réparation le conduit alors à la théorie du chaos et à la sensibilité aux conditions initiales.

A la décharge d’Henri Poincaré, vous pouvez voir à droite que les courbes qu’il pensait impossibles, qu’on appelle orbites homoclines, sont très compliquées : il a fallu attendre la puissance des ordinateurs pour en avoir un aperçu.

Orbites homoclines du problème à trois corps

Tout est possible, ça ne veut pas dire que tout arrive. La théorie nous donne une infinité de comportements différents, mais certains sont tellement instables qu’on ne les observera probablement jamais en pratique…

Pour suivre d’autres grandes découvertes et leur genèse

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celles du mouvement d’une planète autour du soleil

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Pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la Terre ?

Le ciel en deux formules

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ou comment les mathématiciens parlent du mouvement des astres

Aller plus loin sur ce sujet

Sur le problème à trois corps :

  • Un article très complet d’Alain Chenciner sur Scholarpedia.
  • Le livre Celestial Encounters, de Florin Diacu et Philip Holmes, qui propose une approche historique du problème à trois corps et, plus généralement, des questions de stabilité et de chaos.
  • Pour revenir aux textes fondateurs : les Méthodes nouvelles de la mécanique céleste, de Poincaré.

A propos de l’erreur de Poincaré :

  • Une conférence de Jean-Christophe Yoccoz à voir ici, et à lire .
  • Une autre conférence de Cédric Villani à voir ici, et à lire .
Notes et références
  • Les animations javascript des trajectoires sont adaptées d’un travail de Dan Gries, qu’on trouvera ici. Elles ont été adapté pour nos besoins par Valentin Lorentz.
  • Les trajectoires présentées sont des trajectoires d’une version simplifiée du problème à trois corps, qu’on appelle le problème à trois corps restreint, circulaire, planaire. Restreint : un des corps est supposé de masse négligeable par rapport aux deux autres, qui suivent donc des trajectoires du problème à deux corps. Circulaire : on suppose en plus que ces trajectoires sont des cercles, ce qui nous permet de nous placer dans un repère tournant dans lequel les deux gros corps sont fixes. Planaire : on suppose enfin que le troisième corps évolue dans le même plan que les deux autres. Ce système est décrit par une équation différentielle de degré 2, qu’on intègre ici par une méthode Runge-Kutta d’ordre 4 classique.
  • La photographie d’Edvard Phragmen provient de la revue mathématique Acta mathematica. L’image d’orbites homoclines provient de ce site internet.